La gestion responsable des déchets et la protection de l’environnement
sont inscrites dans la loi sénégalaise, pourtant de nombreuses rues
et plages revêtent encore des allures de décharge à ciel ouvert. Pour
changer la donne sans attendre après l’État, Babacar Thiaw a converti
son restaurant au « zéro déchet » et il compte bien faire des émules
autour de lui.
Un jour de 2010, Babacar Thiaw va surfer avec des amis au large de Dakar. La mer, agitée, charrie autour d’eux des amas d’ordures. Le jeune homme se fait alors la promesse d’agir contre ce fléau dès qu’il aura fini ses études. Quelques années plus tard, son master de marketing en poche, il reprend la gestion du Copacabana, le restaurant familial situé sur la plage du Yoff Virage à Dakar. En parallèle, il motive les troupes autour de lui et commence à initier des actions de nettoyage de plage, à lancer des pétitions pour que le parking jouxtant la plage cesse d’être utilisé comme un dépotoir. « Vivre au milieu des ordures est devenu quelque chose de banal au Sénégal.
Même si les gens voulaient jeter proprement leurs déchets ils ne pourraient pas, il n’y a pas de poubelles. La majeure partie entasse ses déchets dans un petit dépotoir de quartier et le camion-poubelle passe rarement. On a même vu des exemples de camionneurs qui demandaient de l’argent aux gens pour venir ramasser les ordures »,
déplore Babacar Thiaw.
En 2018, le jeune entrepreneur décide d’opérer sa mue : le Copacabana devient le premier restaurant écolo de la ville. Exit les bouteilles et pailles en plastique, les dosettes de café, les serviettes jetables en papier, toutes remplacées par des carafes d’eau, des pailles en bambou, du café moulu, des serviettes en tissu. Pour éviter au maximum les emballages inutiles, le Copacabana ne sert que des jus pressés sur place et n’utilise que des produits en vrac, comme le sucre. Exit aussi les sacs plastiques, Babacar Thiaw a fait coudre des sacs en tissu pour faire les courses au marché. Tous les déchets organiques, comme les épluchures de légumes et le marc de café, alimentent le compost qui finit lui-même dans le petit jardin situé à l’arrière du restaurant, principalement des plants de tomates. Les autres déchets sont triés dans des bacs et confiés à une société privée spécialisée, Ciprovis, qui procède à un second tri et fournit des associations, comme cette coopérative de femmes qui recyclent les métaux pour fabriquer des casseroles par exemple. « Nous n’avons presque plus de déchets, à part les mégots de cigarettes mais ça aussi on doit pouvoir en faire quelque chose, il faut chercher un moyen de les recycler », espère Babacar Thiaw. Au sein de son restaurant, il a disséminé des panneaux pédagogiques pour communiquer sur sa démarche : « Ce que je fais n’est rien par rapport au niveau national avec toutes ces ordures à n’en plus finir, mais peut-être que cette petite inspiration pourra demain éveiller la sensibilité de quelqu’un d’autre ».
Sur les 2,8 millions de tonnes de déchets ménagers produits chaque année au Sénégal (100 kg par habitant), seule la moitié est collectée par un service de ramassage. En 2015, le ministère de la Gouvernance locale a lancé le programme « Zéro déchet », censé se décliner à tous les niveaux de la société : communes, quartiers, écoles…. L’un des objectifs était notamment de faire de Dakar l’une des villes les plus propres du continent. Mais pour l’heure, l’échec de cette ambition se mesure à l’oeil nu : partout des coulées de détritus s’invitent dans le paysage, donnant à certaines plages et rues des allures de décharge à ciel ouvert. La majorité de ces déchets sont en plastique : bouteilles, gobelets, sacs… Un constat qui a poussé le ministère de l’Environnement à faire voter une loi interdisant la production, importation, détention, distribution et l’utilisation des sachets plastiques à faible micronnage. Promulguée en 2016, elle n’a jamais été appliquée. L’actuel ministre de l’Environnement et du Développement durable, Abdou Karim Sall, a reconnu en 2019 l’inefficacité de cette loi, promettant un nouveau texte au périmètre élargi.
C’est ainsi qu’une nouvelle loi relative à la prévention et à la réduction de l’incidence sur l’environnement des produits plastiques a été promulguée en avril 2020. Mais son application se fait attendre. « Trois ministres sont passés et aucun d’eux n’a pu appliquer la loi sur le plastique. Les citoyens n’ont pas été largement sensibilisés et les industriels de la filière concernée n’ont pas été rigoureusement associés au processus pour trouver des solutions de remplacement. La douane était censée assurer le contrôle au niveau des frontières mais on se demande jusqu’à présent pourquoi les sachets entrent encore au Sénégal. Il faut amener les gens à s’approprier cette loi, s’ils n’en voient pas l’intérêt elle ne pourra pas être respectée », affirme le journaliste Ibrahima Diedhiou, auteur d’une vidéo de sensibilisation réalisée avec le soutien de la Fondation Heinrich Böll. Il y rappelle qu’aucune politique de tri et de collecte n’a jusque-là pris en compte la protection de la santé et de l’environnement. Et ce malgré le Code de l’environnement de 2001 qui stipule que « les déchets doivent être éliminés ou recyclés de manière écologiquement rationnelle ». La gestion responsable des déchets est également inscrite dans le Plan Sénégal Émergent et fait l’objet du Programme national de la gestion des déchets. Le cadre législatif et stratégique est en place, pourtant l’insalubrité liée à l’amoncellement des déchets ne fait qu’empirer.
« Un tour dans la décharge de Mbeubeuss à Dakar suffit pour constater qu’il n’y a pas de tri et que toutes les ordures sont systématiquement incinérées, causant des conséquences sur la santé des habitants », souligne Ibrahima Diedhiou. Les fumées toxiques qui émanent de cette décharge – l’une des plus grandes au monde –, ainsi que la putréfaction des déchets polluent l’air et affectent la santé des populations riveraines. Interviewé par Ibrahima Diedhiou, le Dr Saliou Thiam affirme que les infections respiratoires représentent 19% des motifs de consultation dans les centres de soins à proximité de Mbeubeuss. Côté littoral, des bancs de poissons morts étouffés par les particules de plastique sont fréquemment retrouvés au milieu des déchets dans la baie de Hann, autrefois considérée comme l’une des plus belles au monde mais aujourd’hui la plus polluée du Sénégal.
Aujourd’hui, l’espoir pourrait venir d’un crédit de 125 millions de dollars accordé par la Banque mondiale pour accompagner la politique de gestion des déchets au Sénégal. Ce Projet pour la promotion de la gestion intégrée et de l’économie des déchets solides au Sénégal (PROMOGED), estimé à 295 millions de dollars, est également financé par l’Agence française de développement (AFD) et l’Agence espagnole pour la coopération internationale au développement (AECID), ainsi que le gouvernement sénégalais et le secteur privé.
En attendant d’en mesurer les effets, le gérant du Copacabana continue d’agir à son échelle : « Tout le monde attend quelque chose de l’État, mais l’État c’est nous. Quand on commence à nettoyer, le voisin d’en face met la main à la pâte et ça crée une synergie, peut être demain une association. Les gens devraient arrêter de se demander "qu’est-ce que l’État peut faire pour nous ?" et feraient mieux de se dire "qu’est-ce qu’on peut faire pour nous-mêmes ? " », assène Babacar Thiaw. Mais le chemin pour faire évoluer les mentalités est long et difficile dans un pays où « les trois quarts de la population vivent au jour le jour : je ne peux pas demander à un parent qui galère pour nourrir sa famille de venir faire du nettoyage de plage bénévole », souligne le jeune entrepreneur, qui avoue : « L’un de mes principaux challenges, c’est de convaincre les membres de mon équipe de suivre une vision qui n’est pas forcément la leur au départ. Je dois constamment être derrière eux ». Loin de se décourager, Babacar Thiaw espère au contraire convertir les autres restaurants du Yoff à une démarche plus écolo. Pour l’heure, il ambitionne d’installer des poubelles tout le long
de la plage avec un service de ramassage régulier et efficace. Une expérience pilote qui pourrait inspirer d’autres localités. À 35 ans aujourd’hui, Babacar Thiaw a compris que pour agir collectivement, il faut commencer par soi : « La seule chose que l’on peut faire, c’est montrer l’exemple ».